Contradictions Le « classement forcé » des performances individuelles, introduit à Motorola en 2001, est toujours à l’ordre du jour au sein de Freescale. Cette technique de notation classe les salariés, en fonction de leur performance individuelle, selon une distribution fixée à l’avance (20% très performants, 10% peu performants, 70% efficaces). Le choix de cette distribution s’appuie une loi statistique représentée par une courbe de Gauss. Les performances relatives des employé(e)s sont sensées se répartir selon cette loi. Cette théorie simpliste ne tient aucun compte … 1. … de la population sur laquelle est appliquée cette technique : il faut des centaines, voire des milliers de résultats pour qu’ils soient répartis suivant une gaussienne. Or, le classement forcé s’applique aux groupes locaux, sur un nombre de salariés insuffisant pour assurer cette distribution statistique. 2. … de la sélection effectuée dés l’embauche au cours de laquelle les ressources humaines (compétentes !), n’embauchent que des employé(e)s dont la performance est déjà située à droite de la courbe de Gauss (vous êtes déjà un « meilleur » !). Face à ces contradictions, la jolie théorie statistique du classement forcé s’effondre. Historique Jack Welch, responsable chez General Electric (GE), est à l’origine de l’utilisation de cette technique de classement forcé, au milieu des années 80. Dans cette multinationale, elle ne se justifie que par la nécessité de gérer les 10% des salariés les moins performants : tout simplement en les licenciant. Aujourd’hui les spécialistes estiment que plus d’un tiers des grandes entreprises américaines utilise cette technique de notation. Un engouement qui est principalement lié à la crise économique des années 2001 et 2002, et à la nécessité de réduire les effectifs : cette technique offre, entre autres avantages, un excellent critère pour éliminer les salariés considérés comme « les moins performants ». Application du classement forcé à Motorola / Freescale En 2001 Motorola introduit cette technique de notation à travers la procédure RPAP. A sa création, cette procédure classait les employés dans 3 catégories : 20% « le plus efficace », 10% « le moins efficace », 70% « confirmé efficace ». Certains employés ont été poussés en dehors de l’entreprise, suite à de mauvaises notations, comme ce fût le cas pour le départ, en début d’année, d’un ingénieur support bureautique. A l’échelle mondiale, en 2 ans d’application du RPAP, Motorola est passé de plus de 150 000 employés à moins de 90 000 sans plan social … la méthode est efficace ! Quand nos dirigeants se prennent pour des penseurs qui « excellent » … L’intervention personnelle de Chris Galvin a été nécessaire (fin 2002, « Améliorer la performance individuelle et de la société »), face aux nombreuses critiques : « La notation et le classement des personnes existent dans n’importe quel écosystème, incluant les équipes sportives, les orchestres symphoniques, et les admissions en université. En coupe du monde de football (‘soccer’ aux Etats-Unis), ou pour les équipes de baseball de niveau international, certains athlètes jouent virtuellement tout le championnat pendant que d’autres restent en réserve. En d’autres mots, toute organisation a des membres d’équipes ‘plus efficaces’ et ‘solidement efficaces’. Mais il ne faut pas faire d’erreur, chaque membre de cette équipe ou organisation qui joue son rôle proprement, en première ligne ou en réserve, est important pour le succès global de l’équipe et pour gagner les championnats. C’est également vrai pour Motorola. » · En parlant de notation et d’écosystème, Chris s’approche de ce qu’il aurait pu appeler la « sélection naturelle », une voie qui a malheureusement déjà été explorée dans le passé, au travers des thèses du parti nazi. · Tout au long de sa réponse, Chris parle de classement, pas de classement forcé. Aucun écosystème, organisation ou équipe n’effectue de classement forcé, suivant des pourcentages pré-établis. AUCUN ! · Dans sa comparaison entre la notation Motorola et les admissions à l’université, Chris a « oublié » qu’à l’Université, les notations se font sans connaître le nom des candidats lors des examens, et que les notes sont attribuées selon des critères numériques, ou logiques, objectifs, surtout après double correction. Et seuls les résultats à ces examens sont jugés, pas le comportement des candidats! · Dans son exemple de membres d’équipes, Chris ne cite pas les « moins performants » comme ayant une légitimité d’existence au sein de l’équipe. Cette omission est révélatrice. Son discours n’aborde pas la question des moyens mis en place (commissions, procédures,…) pour permettre aux « moins performants » de s’améliorer. · Enfin, est-il possible de concilier « classement forcé » et « Ethique » ? En effet, le classement forcé ouvre la porte aux discriminations, ce qui donne lieu à la majorité des procès intentés contre les entreprises utilisant cette technique de notation. Devant la résistance des employés et leurs nombreuses critiques envers le système, Motorola a déjà modifié le RPAP dès 2003 en réduisant à 5% la catégorie des salariés les moins performants. Bilan après 3 années de mise en pratique du RPAP Les points « positifs » apportés par cette technique de notation : · Soutient la culture de « haute performance » individuelle au sein de l’entreprise. Une culture déjà entrenue par « Six Sigma », « Performance Excellence », … · Selon « Andersen Consulting » les entreprises qui ont une forte culture de la gestion de la performance offrent le plus de résultats aux … actionnaires. · Les conséquences sont, de fait, claires vis-à -vis des salariés : les plus performants obtiennent les plus fortes augmentations et primes, les moins performants n’ont rien, et sont « invités » à quitter l’entreprise. Les points « négatifs » apportés par cette technique de notation : · Laisse croire à tous (employés, actionnaires, …) que le problème de performance de l’entreprise provient uniquement de la performance des individus. Ce raisonnement simpliste évite de rechercher les causes réelles des mauvais résultats. · Démobilise les employés, sur le moyen/long terme. Année après année, chaque employé se demande quand il se trouvera classé « moins performant ». De plus, comme les employés n’ont pas oubliés d’être intelligents, ils ont pu constater que la mise en place de cette technique n’a pas permis à Motorola de sortir significativement du marasme économique mais lui a surtout permis de réduire très largement ses effectifs sans plan social (donc contourner la loi). · Met en valeur uniquement la performance individuelle dans un esprit de compétition entre salariés, au détriment de l’efficacité d’une équipe : remplir ses objectifs est devenu plus important que de coopérer. · Dégradation des relations professionnelles inter et intra équipes. · Développe le sentiment d ‘inégalité entre les organisations (groupes et secteurs). · rôle anti-social de l’entreprise qui produit artificiellement des exclus. En résumé, le classement forcé: c’est la contre-performance à moyen et long termes. A Freescale Toulouse, quasiment 100% des personnes sont contre le RPAP, leaders et managers compris. Parler de gestion de performance provoque une levée de boucliers, chacun ayant en tête la question réductrice : Dans quelle tranche vais-je donc être classé ? (Et pour les managers : Quels sont les employés que je vais devoir classer dans la catégorie des moins performants ?) Malheureusement, les dirigeants de Freescale n’ont pas pris la courageuse décision d’arrêter cette technique impopulaire et contre-productive. Les exemples d’entreprises ayant été condamné en justice pour discrimination, à travers le classement forcé, se multiplient : · Ford n’utilise plus de quotas dans son classement depuis avril 2002 (http://www.shpclaw.com/updates/lessonsford.html) suite à sa condamnation pour discrimination des hommes de plus de 40 ans. · Dow Chemical Global, utilisant un système proche du classement forcé depuis les années 60, a su se remettre en cause et supprimer cette technique. · General Motors a également été condamné pour discrimination sur l’âge. · Microsoft a été condamné pour discrimination des minorités et des femmes. · Conoco a également été condamné pour discrimination. · Goodyear, après des poursuites judiciaires, a seulement modifié son vocabulaire. · Enron, un fervent pratiquant du classement forcé, se vantait, peu avant son effondrement, que le classement était l’avenir des entreprises performantes … Les évolutions du classement forcé à Freescale, en 2004 Malgré la fusion des procédures RPAP et PC (« Personal Commitment ») en une seule : PM (« Performance Management ») et un vocabulaire « politiquement correct » (« distribution guidée » remplace « classement forcé », « évaluation » remplace « calibrage », …), les mêmes fondamentaux sont conservés : · Classement forcé des employés selon le quota : Exceptionnel 10%, Excellent 20%, Efficace 60%, Amélioration nécessaire 10%. · Notation sur des critères uniquement individuels. · Performance mesurée non seulement sur les résultats subjectifs · Notation selon les comportements. Le progrès, les solutions alternatives, c’est possible ! · Se sentir utile : certaines entreprises, comme Lockheed Martin, préfèrent motiver leurs salariés afin qu’ils se sentent bien grâce à leur sentiment de contribution. · Des objectifs par projet : Dow Chemical Global, maintenant, définit des objectifs par département et pour les individus selon des standards largement expliqués aux employés. L’évaluation compare les objectifs effectivement atteints par rapport à ces standards. Dans d’autres entreprises des mesures de performances des équipes sont en place, en plus des mesures individuelles, sans classement forcé. · Impliquer les salariés : de nombreuses entreprises ont développé leur propre système d’évaluation, souvent en collaboration avec leurs employés, sans tomber dans la facilité d’utiliser une pseudo-technique toute prête même si elle a fait les preuves de sa perversité et de son inefficacité. Année après année, les relations entre salarié(e)s se dégradent à cause d’une technique qui non seulement est sans fondement, mais aussi est mal appliquée par des managers qui ne l’apprécient pas. Il suffirait pourtant d’une simple enquête pour constater l’unanimité des salariés, leaders et managers compris, contre le système actuel et ses dérives. Vous êtes socialement responsable, alors ces questions vous intéressent…. · Savez vous définir formellement la performance d’un individu … ? · Savez vous que d’imposer la modification des comportements cela modifie les convictions des individus donc leur culture ? · Savez vous que la Direction nous dit « ce système est inefficace » et qu’elle continue à le promouvoir ? · Connaissez-vous le coût de « l’excellence » pour notre civilisation ? · Savez vous enfin à qui profitent tant d’incohérences ? Vous pensez que la Direction de Freescale doit supprimer son système de classement forcé. En nous unissant nous avons tous les moyens d’imposer une reconnaissance de nos qualifications, d’imposer le développement de nos compétences, et d’améliorer le développement de notre entreprise. Ce choix de développement vous appartient.
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